EN QUÊTE DE BONHEUR

A peine dévalé l’Escaler del Jutge *, nous plongeons dans le bas du village. MOSSET se tient puissante, à notre gauche, paquebot des montagnes, et nous, face à ce qui va devenir notre Everest du moment : le pic del Rossello.

Janie et moi nous hissons au-dessus de la route qui mène à Molitg, passons le long d’un muret, franchissons un canal, dernières constructions utiles avant les territoires relégués.
Sous nos pieds, un sentier abrupt bordé de thym florissant et de cistes en boutons, dans nos coeurs l’envie d’ailleurs, de grand air, de silence.

Mosset, paquebot des montagnes


Ce genre de bonheur se gagne par l’effort. Très vite, le corps se met au diapason de cette terre ingrate, pentue, rocailleuse qui ne donne à l’homme que la splendeur de ses printemps odorants, de ses automnes vermeils.

Notre pouls s’accélère à mesure que nous grimpons. La respiration se fait courte, ponctuée de grandes bouffées d’air prises à chaque halte, regard sur la vallée et ses multiples nuances de vert . MOSSET, déjà lointaine semble bien plus modeste : quatre rangées de toits désordonnés autour du vieux château.

Les clameurs de la vie quotidienne parviennent jusqu’à nous, étouffées par l’altitude qui nous sépare et l’emprise croissante du soleil : un chien aboie place de l’église, des hommes s’interpellent, un autre débroussaille au loin, un camion de scierie monte à vide vers les coupes. La vie simple et agreste dans la quiétude des montagnes telle que nous voudrions qu’elle demeure à jamais.

La pente est rude. Elle force au silence. C’est un moment d’introspection. A nous de voir ce dont nous sommes capables. Chanceuse, d’une pierre à l’autre, je me laisse tracter par mon chien qui tire sur sa laisse.

Sam, compagnon et … guide quelquefois


Déjà les genêts ont fait place aux taillis. On se plait à rêver aux trésors que leur humus recèle. A l’automne, cèpes et girolles soulèvent délicatement feuilles et mousses fraîches, s’offrant à la rosée. On verra cela plus tard ! Pour l’instant nous avançons suivant une courbe de niveau observée sur la carte. Après l’accablante montée, cette marche réparatrice mène à une bâtisse en ruine. Gisant de pierres ceinturé d’un cahot minéral, laissé aux seuls oiseaux, le Cortal de la Peiralada m’émeut, moi la passante lassée de modernisme.

Un vieux tissu pend à un clou de l’entrée, une bouteille en verre repose sur la table, reliques d’une vie arrêtée en ces lieux. Le toit résiste encore mais pour combien de temps ?

Le balisage sang et or promet la suite du parcours le long d’un ruisselet qui ravit mon chien assoiffé. Quelques aulnes élancés y puisent leur survie. Nous avons parcouru 200 mètres de dénivelé. Il en reste encore 500 !

Au bout d’une heure, le paysage change. Des prairies grasses s’étendent moelleusement sous nos pieds. Le balisage se fait rare et chaque arbrisseau est scruté à la recherche du moindre indice. Des bouses fraîches nous indiquent la présence bovine. Vigilance car ma dernière expérience avec une vache corse fut désastreuse. En haut d’un arbre, en attendant que Madame se calme.

Troupeau de gasconnes.. vu de loin

Englouties par les genêts, nous cherchons l’issue vers le pic convoité. Partout du jaune lumineux à perte de vue, rompu par quelques cahots granitiques. Perdues, mais pas désespérées. Je laisse mon chien Sam nous frayer un chemin. Quelque chose a bougé dans les buissons.., je bondis en arrière. Quelle pomme ! C’est un chevreuil apeuré qui détale.

Le Canigou, comme repère

Sam a vu juste. La piste est enfin retrouvée. Le sourire jusqu’alors crispé par l’inquiétude se fait plus large et détendu. L’homme est un animal social en quête de sécurité : un tracé large de trois mètres régulièrement emprunté par nos congénères suffit à nous rassurer et nous mettre en confiance.
Le pic du Rossello et ses 1314 mètres est là devant nous. Soulagées, nous pouvons amorcer la descente.

L’esprit libéré, nous empruntons le chemin des estives et tout le répertoire de la chanson française, à tue-tête… jusqu’à ce que nous le rencontrions, lui, le taureau. Moment de réciproque observation. Pacte de non agression ? Paisible, il nous laisse traverser son harem où paissent déjà les premiers veaux de l’année. Etonnés, ils tournent leur tendre museau vers nous, prêts à caracoler. Laisse courte, je serre Sam contre moi sans trop accélérer pour ne pas exciter cette ruminante jeunesse.

La crainte d’expérimenter une course taurine en altitude nous a fait perdre la piste. Nous revoilà hésitantes, maintenant au milieu des chevaux. Janie consulte la carte, je m’en réfère à mon instinct. Franchissant clôtures, mouillères et ruisseaux, nous retrouvons enfin notre chemin et le coeur à chanter. Depuis le début, le Canigou, immuable, reste notre repère. Mosset se trouve quelque part en bas.Très vite apparaît le Cortal du “Descasat”. Un ermite à longue barbe lave son linge à la source.

Nous le saluons prestement. La faim nous taraude et le temps tourne à l’orage. Le clocher de Mosset perce le fond de la vallée. Deux heures sonnent dans le silence végétal.

Victorieuses, nous entrons au village par la porte de France. Nous avons fait le plein de bonheur et de branches de thym.

CIRCUIT PÉDESTRE 4 H 30
  • L’Escaler del Jutge : l’Escalier du Juge, rue en escalier qui descend du château vers el Carrer de la foun de les seniores (rue de la fontaine aux dames). La maison du juge possède une magnifique porte d’entrée.

5 Comments

  1. Wassmer Martine

    Merci Anne-Marie pour cette belle randonnée.
    Martine

  2. Danielle Caunes

    Je sens de ma presque mer l odeur puissante du genet à balais…
    Merci pour cette jolie balade.

  3. Frances Carver

    Lovely to get your news Annemarie. You probably know that I lost Ralph last year and am selling Montesquieu. However will be back as soon as France Covid permits. Love. Frances

  4. Marion and Mike

    Nous aimons très bien les histoires de vos randonnées!

    We are very sorry not to be seeing you in Montesquieu later this month. Mosset looks wonderful.

  5. Nicole Coste

    Délicieux, com sempre !
    Heureuse de retrouver ta savoureuse verve.
    Merci pour cette belle bouffée de nature.

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