LE RÉVEIL DE L’OURS


Non, rassurez-vous, vous ne le rencontrerez pas lors de vos prochaines randonnées.

Cet ours-là vous le trouverez dans les rues d’Arles-sur-Tech, Prats-de-Mollo et St Laurens de Cerdans. Il ne vous croquera pas, mais il vous poursuivra et vous entraînera dans une sorte de rite de passage où vous oscillerez entre peur ancestrale et envie d’en découdre.

Saint Laurent-de-Cerdans

A Saint Laurent, l’ours arrive par le haut du village, près de l’église. Il vient d’échapper au chasseur. Le voilà donc en fuite. La foule l’attend. Mais il n’est pas seul. Autour de l’ours gravitent bandas, coblas et de curieux personnages : Les Escalfadors (le Vieux et la Vieille) bras dessus bras dessous, les “Botifarrons”, meuniers  hilares qui barbouillent le visage des filles de boudin noir. Les Figueretes, jeunes femmes promptes à vous enduire la face de figues bien collantes. Puis il y a la Monaca. Inquiétant personnage masqué à double corps, elle virevolte et distribue des coups avec ses faux membres emplis de paille.

Els Enfarinats ou Botifarrons

Les chasseurs tentent d’attraper l’ours ; ils l’encerclent. Il s’enfuit encore dévalant les ruelles. Cabotin, le voilà à la fenêtre de la mairie, narguant ses détracteurs. Puis il poursuit sa route. Des enfants pleurent, d’autres s’étonnent de voir cet animal si grand, si impressionnant, si différent du nounours en peluche qui apaise leurs nuits.

Un drôle de Nounours

Ils ignorent (et c’est tant mieux ) qu’émoustillés par les premières ardeurs printanières, l’ours et ses acolytes nous invitent à une forme de bacchanale propre à réveiller nos élans amoureux.

Les Figueretes enduisent le visage de figues séchées

La mise en scène est assez coquine:
Le Vieux et la Vielle traînent un chauffe-lit en cuivre contenant du poil de cochon grillé qu’ils passent sous les jupes des filles pour réchauffer leur corps. Je vous laisse ensuite deviner la symbolique du boudin et des figues évoqués précédemment. Des jeunes hommes saisissent les demoiselles et les renversent dans un grand berceau dans lequel figure un poupon (en l’occurrence un homme en brassière). Elles ne seront relâchées qu’après avoir bu une rasade de muscat.

A ce stade, il est bon de mettre en perspective cette tradition. N’oublions pas qu’à l’époque, les occasions pour les jeunes hommes de poser la main sur les filles à marier étaient rares. Seules ces fêtes pouvaient permettre de tels débordements.

Aujourd’hui que le mouvement Me Too est passé par là, ne vous offusquez pas de cette tradition car l’esprit bon enfant prévaut, à entendre les rires des  « malheureuses victimes « de ces renversements.

Oui mais l’ours dans tout ça ??
L’infortuné plantigrade, d’abord objet d’un véritable culte païen, a été ensuite considéré comme un animal maléfique, voire lubrique. Dans de nombreux pays, on retrouve cette même légende universelle d’une vierge enlevée et outragée par un ours.
Au moyen âge, l’Eglise le redoute car il symbolise la force et, qui plus est, il est le seul animal à avoir posture humaine, dressé sur ses pattes arrières. Il sera donc chassé, d’abord des plaines où il vivait tranquille, puis repoussé sur les hauteurs, nous laissant croire aujourd’hui qu’il est un hôte naturel des cimes.

American Bear, Huile et xylographie Nicolas MALDAGUE

Mais revenons à Saint Laurent-de-Cerdans. L’ours est parvenu sur la place en bas du village. Encerclé par la foule nombreuse, désormais aux mains des chasseurs, le voilà résigné. Il sera rasé…. à la hache. Ainsi dépouillé de son animalité, l’ours devient homme.

Il s’avance vers l’assemblée et choisit sa bien-aimée qu’il invite à danser.

Total respect pour le sportif qui courut et sauta tout l’après-midi sous cette lourde pelisse !

Heureux , le visage poisseux, l’odeur du suif brulé encore dans nos narines, nous quittons le village avec le sentiment d’avoir participé à une dramaturgie ursine venue du fond des âges dont nous n’avons pas encore percé tous les mystères.

Il fallait bien un verre de bon vin local pour nous remettre de tout cela.

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