-Mémé, raconte moi, ta jeunesse à Port-Vendres.
Grand-mère essuie ses grosses mains de paysanne sur un pan de son tablier de coton et s’assoit, pensive.
-Tu sais, neneta*, c’était pas la vie de château mais c’était une époque formidable. Ton grand-père et moi, on venait juste de se marier. Nous nous sommes installés à Port-vendres car il avait été nommé dans les bureaux de la gare par la Compagnie des Chemins de Fer du Midi. Il fallait le voir en col blanc et cravate sur sa moto qui pétaradait dans les ruelles montantes de la ville.
Ta mère, née juste après, en 21, fut baptisée à Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, quai de l’Artillerie.
« Ah comme le port était florissant. Dès 1830, début de la colonisation de l’Algérie, des bateaux arrivaient le ventre lourd, remplis de vin, de fruits exotiques et repartaient chargés, de bois, de laine et de céréales…
De là, on expédiait aussi la dynamite de l’usine Nobel de Paulilles, pour creuser le fameux canal de Panama. La Compagnie Transatlantique assurait des liaisons régulières avec l’Afrique du Nord.
29 h qu’il fallait ! pour se rendre à ALGER. Depuis Port-Vendres c’était la traversée la plus courte.
Dans l’attente de l’embarquement, les passagers fortunés, les femmes en crinoline s’accordaient une halte dans le grand hôtel Le Terminus construit au coeur même du port.
Les pauvres, eux, s’entassaient sur des bancs à même le quai, leurs rêves pour tout bagage. Au-delà des flots, une vie nouvelle, de meilleures terres les attendaient là-bas, riches et prospères.
EL MANSOUR, KAIROUAN, EL GOELA autant de noms de paquebots qui portaient l’espérance.
En plus de ces titans des mers, il fallait voir ce ballet incessant : des flotilles de thoniers, des lamparos, des cargos. Port-Vendres vécut ses plus belles heures juste avant la tragédie et l’Indépendance.
Tu savais que PORT-VENDRES n’était ni plus ni moins qu’une annexe de Collioure ?? Eh oui, c’était la même commune.
La séparation eut lieu en 1823 et PORT VENDRES a pris le large si j’ose dire.
Ils ont dû en faire une tête les Colliourencs quand PORT VENDRES s’est enrichi en s’ouvrant sur l’Afrique quelques années plus tard !
De riches négociants ont alors installé leurs entrepôts près des quais. De somptueuses demeures comme le château de la famille PARÈS dont il reste quelques vestiges témoignent de cet âge d’or.
Nous avions mêmes deux gares ! PORT-VENDRES-Ville, sur les hauteurs, et PORT-VENDRES Port, la gare maritime. Marchandises et voyageurs directement des rails aux pontons ! On était écologistes avant l’heure !
PORTUS VENERIS : le port de Vénus. C’est ainsi que les romains l’ont appelé. Il a drôlement progressé ce petit peuplement depuis.
D’abord un abri côtier prisé par les Phéniciens. Une anse commerciale dont la darse* fut ensuite agrandie pour accueillir des navires à fort tirant d’eau. Après le traité des Pyrénées, le port est ensuite équipé par Vauban. Il y fait construire le Fort Fanal , le Fort de la Presqu’ile aujourd’hui détruit, la Redoute Béar.
La commune restera une place forte militaire. Mailly y apporte sa patte maçonnique. Nous lui devons l’Obélisque, monument à la gloire de Louis XVI et … du commerce mondialisé.
Et oui, c’est tout ça PORT-VENDRES.
-Tu sais Mémé, moi j’aime bien PORT-VENDRES d’abord parce que Maman y est née puis parce que je la trouve authentique. Collioure est séduisante, c’est vrai. Une perle dans un écrin. Elle sait plaire et se montrer.
PORT-VENDRES possède un tout autre charme. Elle porte en elle la mémoire ouvrière, des dockers, des cheminots, la marque douloureuse de l’exil, celui des rapatriés, des républicains espagnols traversant la montagne.
Elle a su panser les blessures des malheureux qui, pris au piège de l’histoire, ont tout abandonné.
VENUS a bien sûr succombé à MERCURE, dieu du commerce mais elle a gardé tous ses atours : l’anse merveilleuse de Paulilles, la frange ourlée des Albères qui viennent mourir dans l’écume du cap Béar et l’ambiance portuaire autour des restaurants typiques et des petits métiers*.
-Nena*, tu me fais plaisir. La prochaine fois, je te parlerai de Paulilles.
Nena, neneta : petite fille en catalan
Une darse est un bassin rectangulaire destiné principalement à l’accostage des cargos.
Petits métiers : tout mode de pêche, autre que la pêche au chalut, à la senne, au gangui et à la drague, pratiqué à partir de navires d’une longueur inférieure ou égale à 18 mètres.
Merci à Laetitia de l’office intercommunal de Tourisme qui m’a librement inspirée et dont les visites commentées méritent le détour.
Super comme d’habitude, ton âme d’artiste ressort dans tes textes merci ❣️👍❣️
Une belle et instructive histoire Anne-Marie !
Désormais, je porterai un regard différent sur Port Vendres, lorsque de Collioure j’irai jusqu’à Banyuls en suivant le sentier du littoral.
J’aime aussi Port- Vendres pour son authenticité.
Merci pour ces mémoires que tu fais revivre, et pour l’excellente documentation
Merci de nous transporter dans le passé, auprés de ta grand mère.
J’aime beaucoup la simplicité et la poésie de tes textes.
Belle écriture comme dans tous tes textes et… dans ces temps difficiles, ton émerveillement est délicieusement contagieux.