Il faut pousser la vieille grille pour y accéder. Oh, pas la grille prétentieuse d’une maison de notable. Non, un vulgaire sommier métallique dressé, sommairement attaché par quelques fils rouillés. Un antique ressort en tient lieu de fermoir.
Passée la voûté pamprée de la treille, commence l’émerveillement.
Ici, les pieds dans la rosée, pas de royales allées glyphosatées, lisses et stériles.
Dans ce royaume tout est autorisé à croître et se développer. Le chiendent y fait son lit sous la courge coureuse aux feuilles si larges, faites pour implorer l’averse.
Le pourpier grassouillet étale ses bractées telles de minuscules oreilles promptes à écouter le sol résonner de cette vie grouillante : voyage minéral des racines s’enfonçant dans l’humus, digestion patiente des vers de terre, infatigables laboureurs du fond, escargot traînant péniblement son “mobil-home” calcaire.
Chaque année, ce sont les mêmes végétaux que ma main aguerrie plante ou sème et pourtant chaque année, l’effet est différent. La nature ne ressert pas deux fois le même plat.
C’est un petit monde que je me plais à associer. Oui, les plantes sont des organismes sociaux et n’en déplaise à certains. Pour elles, il y a les amis dont elles apprécient la compagnie et d’autres congénères dont elles redoutent la présence. Cela s’appelle le compagnonnage.
La carotte fait la belle devant le poireau en col blanc, dressé bien droit dans sa rangée. Tous deux pratiquent l’entraide : ils repoussent mutuellement leur principal ravageur : la mouche.
Tomates, pommes de terres, aubergines ne font pas bon ménage, à part dans la cocotte sur le feu. Solanacées, elles sont de la même famille et pourtant elles se font la tête. « Familles, je vous hais » s’exclamait André Gide plus poète que jardinier. « C’est une question de compétition pour les nutriments puisés dans le sol. » nous expliquent les scientifiques. « Rien à voir avec les sentiments », ajoutent-ils, sûrs d’eux. Parfois, j’en doute. Je vous le dis : c’est un petit monde fait d’entraide et de compétition.
Et le jardinier dans tout ça ? Eh, bien le voilà devenu grand organisateur tentant de mettre chacun à sa place. C’est un vrai travail d’architecte que d’établir chaque année le plan de son jardin en respectant toutes les susceptibilités végétales ! Ajoutons à cela, les besoins en eau de chacun et l’exercice devient un casse-tête. L’aubergine ne craint pas les bains de pieds, elle sera bien au bord de la rigole. La tomate aime l’eau…. avec parcimonie. Il faudra la planter plus loin tout près du basilic. Les courges rustiques accablées par la chaleur de midi reprennent vite vie dans la fraîcheur nocturne. Elles seront implantées dans un carré non irrigué. En récompense de leur sobriété hydrique, quelques arrosoirs, à la tombée du jour, suffiront.
Nul végétal ne peut souffrir l’entêtante présence aromatique du fenouil. Tel un paria, il sera mis au coin !!
Le visiteur néophyte ne verra somme toute qu’un jardin de légumes plantés ça et là et pourtant mon souci chaque année, c’est de faire un parterre .. d’heureux. Ces végétaux me le rendent bien car ils remplissent à profusion mes paniers.
L’eau court dans la rigole maçonnée. J’ouvre la vanne. Pieds nus dans le sillon , je veille à la distribution de cette précieuse manne. Un coup d'”aixada”* et hop ! j’opère une bifurcation bienvenue vers les haricots qui attendent, assoiffés, de rafraîchir leurs rames. Debout dans la glaise, je pense au jardinier du Nil rendu si fort par la puissance nourricière de l’eau et à notre commune fragilité sans cette somptueuse ressource. Un bruit de succion en soulevant mes pieds m’indique qu’il est temps de modifier la circulation. C’est au tour des betteraves. Humbles et rubicondes, elles arrondissent leur globe sucré et généreux dans l’humide chaleur de la terre.
Fraisiers et framboisiers font grise mine depuis la dernière cueillette. A eux la grande inondation. Dans ce delta miniature, les limaces sont de retour. Je les ai chassées tout ce printemps car elles avaient boulotté mes semis. Même les escargots découragés par cette invasion de sans abri (sans coquille) ont battu en retraite. L’orvet d’habitude si gourmand de ces visqueuses traîne-patins en avait le dégoût tant elles étaient nombreuses.
Il faut savoir partager l’abondance, une part pour elles, une part pour nous. Du coup j’ai sacrifié les plants de melon pour préserver l’ensemble des cultures.
Dans la brume bleue du matin, dans la moiteur du soir, le jardin offre un espace de paix et de force indicible. Tout semble immobile, inerte et pourtant, tout se transforme, évolue, rampe, s’élève sans que notre oeil de pauvre humain puisse en suivre le cours. Seule consolation, à l’aube avant de commencer tout travail agricole, un petit tour de piste nous en révèle la magie : la tomate a mûri, la courgette a forci, le concombre est fin prêt pour la table. Tout cela s’est passé sans tambour ni trompette, dans le silence d’une vie qui nous est biologiquement étrangère.
S’il existe bien un règne végétal, si le jardin est un royaume, le jardinier n’en est pas le monarque. Tout au plus un humble serviteur.
*Aixada : en catalan la houe (prononcez “aïchade”)
Ah, je vois que nous avons presque le même jardin!
Et la même âme de jardinière…
Mon jardinet est situé derrière la maison. Les semis m’avaient réjoui pendant la période du confinement:
mettre de la vie, là où elle était restreinte.
Les occupants sont à leur aise, car c’était une friche depuis plusieurs années.
Au fond, à l’ombre du mur du voisin, une rangée de roquette. Bon là, elle commence à monter à graines. Mais elle me régale depuis plusieurs semaines. Vient ensuite un rang de cèbe rouge de Toulouges…qui disparaît sous les larges feuilles de mini-patidous. Il serait temps qu’ils produisent autre chose que des rames abondantes et des fleurs! Et ça monte à l’assaut de la clôture!
Un rang de pois gourmands et un rang de haricots verts plats. Je les ai “étrennés” ce midi, à la vapeur, avec quelques pommes de terre grenaille. Miam!
Le rang suivant est dédié aux tomates “noire de Crimée”. Pas encore mûres: les semis ont pris du retard à cause d’un mauvais terreau. Ce qui va permettre d’échelonner les récoltes avec les autres variétés achetées en plants: cornue de Andes, ananas, coeur de boeuf, steak…et minis.
Quelques pieds d’aubergines, de poivrons corne de gazelle. Puis encore des pois gourmands et le dernier rang, ou plutôt, le premier: les fraisiers. Peu de fraises car je laisse se développer les stolons.
En bordure des potimarrons, des fleurs “prairie fleurie”.
Et partout des herbes, beaucoup de pourpier surtout. ET depuis peu une invasion d’insectes qui ressemblent à des coccinelles brunes.
Je regrette de ne pas savoir mettre de photos: les tiennes sont particulièrement délicieuses.
J’oubliais l’arrosage: il est plus conventionnel, avec le tuyau que je laisse couler jusqu’à ce que tout les sillons ressemblent à Venise. C’est d’ailleurs sûrement la raison du manque de fruits sur les mini-patidous!
J’ai attaché une vieille chaussette au bout de tuyau pour modérer la puissance du flux.
Je trouve que je suis en bonne voie vers la permaculture.
J’espère te revoir belle jardinière, avant la fin de l’été… Le gaspacho sera local!