L’autre jour pour échapper à mes obligations domestiques, j’ai pris le chemin qui monte au-dessus du village pour une courte promenade.
La matinée était bien avancée, mon repas mijotait tranquillement. J’avais envie de prendre l’air.
Alors que je me croyais seule à cette heure sur cet itinéraire, je découvris au détour d’un sentier, un drôle d’équipage.
Un jeune couple accompagné d’un chien marchait devant moi, tirant sur une longe avec au bout … un âne. Un de ces petits ânes gris, au regard bienveillant. Inoffensif mais récalcitrant, il obligeait ses compagnons de route à l’exhorter fréquemment à les suivre. J’observais leur pérégrination ponctuée par de courtes haltes imposées par l’animal, ne sachant qui, des hommes ou de l’animal, faisait montre de plus de patience ?
Indifférent à l’appel des montagnes, il trottinait par intermittence puis s’arrêtait. Amusée par l’attitude de l’animal, je pensai que ces randonneurs auraient mieux fait de louer un cheval plutôt que ce digne représentant de la race asine. L’animal cache bien son jeu. Sous des airs doux et humbles, l’âne sait ce qu’il veut ou du moins ce qu’il ne veut pas. Les Catalans en ont fait leur mascotte.
Je me suis toujours demandé pourquoi ce peuple, si allant, si industrieux, si dynamique avait pris un animal aussi réfractaire pour emblème. Peut-être est-ce en réaction à la pression infligée par les Espagnols qui, eux, ont choisi le fier et féroce taureau.
Pour mieux marquer sa différence, l’âne en catalan, se dit “ruc” ou “ase” plutôt que « burro », trop hispanisant.
Il existe une race typique d’âne catalan : grand et robuste (environ 1,60 m au garrot), pelage noir, ventre blanc, grandes oreilles pointées vers le ciel. Malheureusement, il n’en reste plus que 500, ce qui semble insuffisant pour assurer la pérennité de la race, malgré les efforts déployés par certains propriétaires amoureux de ce quadrupède.
L’animal est encore associé à la bêtise. Faut-il que les hommes soient stupides pour ne pas voir ce que recèle le regard d’un âne ! J’y vois toute la compréhension du monde, des mystères qui à nous, pauvres humains rationalistes et scientistes, nous sont et nous seront à jamais étrangers.
Je terminerai mon propos par ce poème de Francis Jammes, pyrénéen de coeur et de naissance :
J’aime l’âne
J’aime l’âne si doux
marchant le long des houx.
Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles ;
et il porte les pauvres
et des sacs remplis d’orge.
Il va, près des fossés,
d’un petit pas cassé.
Mon amie le croit bête
parce qu’il est poète.
Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.
Jeune fille au doux cœur,
tu n’as pas sa douceur :
car il est devant Dieu
l’âne doux du ciel bleu.
Et il reste à l’étable,
fatigué, misérable,
ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.
Il a fait son devoir
du matin jusqu’au soir.
Qu’as-tu fait jeune fille ?
Tu as tiré l’aiguille…
Mais l’âne s’est blessé :
la mouche l’a piqué.
Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.
Qu’as-tu mangé petite ?
— T’as mangé des cerises.
L’âne n’a pas eu d’orge,
car le maître est trop pauvre.
Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l’ombre…
La corde de ton cœur
n’a pas cette douceur.
Il est l’âne si doux
marchant le long des houx.
J’ai le cœur ulcéré :
ce mot-là te plairait.
Dis-moi donc, ma chérie,
si je pleure ou je ris ?
Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme
est sur les grands chemins,
comme lui le matin.
Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris ?
Je doute qu’il réponde :
il marchera dans l’ombre,
crevé par la douceur,
sur le chemin en fleurs.
J’aime l’âne.
Encore une moisson de souvenirs avec ce poème dont mon père me récitait les premiers vers.
J’aime ton récit, Anne Marie, car moi aussi, j’ai une tendresse toute particulière pour les ânes.
En 1987, je suis allée randonner dans l’Assekrem depuis Tamanrasset jusqu’à l’ermitage du Père de Foucault.
C’était la nuit de Noel, la nit de Nadal. J’avais transpiré en montant à toute vitesse jusqu’à la petite chapelle,
dans cet environnement tout minéral. Et dès le coucher du soleil, dans le désert, un froid glacial remplace l’implacable
chaleur du soleil. La messe de cette nuit était fort belle…et moi fort transie de froid. En redescendant dans les dortoirs
j’ai commencé à être très malade, une amie du groupe a été ma mère pour me veiller et me soigner. Et au petit matin, enfiévrée, l’image de deux petits ânes s’est encadrée devant la porte…Tout était si pauvre et si pur! La crèche était là…
J’aime l’âne si doux
Marchant le long des houx
***
Merci, Anne-Marie pour cet article et les photos qui l’accompagnent.
Tu peux supposer que ça me fait un immense plaisir.
Et merci pour le poème que je ne connaissais pas.