ESCAPADE AU FIL DE L’EAU

Lundi, c’était mon anniversaire. De séjour à Mosset, je décidai de m’offrir une escapade solitaire matinale. Me voilà descendant les ruelles du village, paquebot des montagnes. J’avais l’idée d’aller vers l’est, face au levant. Cette intention me mena instinctivement sur un chemin de terre, fuyant la route carrossable.

Mosset vu depuis les hauteurs du canal

Passées les premières maisons blotties dans les feuillages, j’aperçois une rigole dans laquelle court une eau vive et fraîche. Ses reflets argentés sous les premiers rayons du soleil, sa vivacité à franchir les pierres émoussées, me portent à suivre ce cordon lumineux.

Après une courte descente, la rigole se jette sans regret dans un plus grand canal , étirant son bâti sous frênes et châtaigniers. A proximité un bassin recueille sereinement cette eau bienfaitrice. Quelle merveille ! Légère appréhension, cependant car la voûte est obscure et les balisages ont disparu. Seule, néanmoins téméraire, je décide de quitter le chemin pour longer le courant. Après tout, impossible de se perdre avec ce fil d’ariane !

Canal de Mosset à Molitg


A flanc de colline, le canal et moi gardons sérieusement le cap. Soudain, il disparaît sous terre pour croiser les torrents qui dévalent des collines. D’un pas alerte, je les enjambe. Nous jouons à saute ruisseau. Lui ne se départit pas de son itinéraire, corseté par sa construction de pierres et de béton. Moi, je dois louvoyer entre les roches pour le suivre. Heureux compagnonnage !

L’étroite langue de terre qui le longe se fait tantôt souple tapis de mousse, tantôt scabreux bord de ravin. Seul le pied assuré d’un âne me rendrait la promenade confortable. Là, je dois compter sur ma seule prudence et mon seul équilibre.

Il est près de neuf heures et les cigales ont déjà déchiré le silence. Je m’arrête un instant. Un oiseau me régale de son chant. Un air de paradis perdu. Pas perdu pour tout le monde puisque j’y suis. Les murets en pierres sèches savamment agencées et ce canal pas plus large qu’un mètre, si nécessaire à cette économie rurale sont les seules traces de l’homme à cet endroit. Tout le reste est de l’ordre du miracle, du primaire : les fougères aigles qui frôlent mes mollets, les aulnes glutineux aux racines enserrées dans la roche, ce lièvre arrêté dans sa course par mon incongrue présence. Instrument de partage créé dès 1300, ce canal a écrit l’histoire des trois villages : Mosset, Campôme et Molitg. Les terres du dessus ont tardé à connaître la main inventive de l’homme. Inviolées pendant des décennies. Mosset a mis le temps à avoir l’usage de cette eau souveraine.


Prise d’eau avec vanne et “Ull”(oeil) de pierre pour réduire le débit


Au dessous, par contre, là où l’eau assagie a pu être conduite, très tôt, des prés, des jardins furent aménagés. D’anciens fruitiers y trouvent encore leur place. Aujourd’hui, restent quelques pâturages actifs. J’en veux pour preuve les nombreuses prises d’eau qui ponctuent le canal et deux occupants à larges cornes qui me regardent bizarrement. Du taurillon nerveux ou du mastodonte body buildé, je ne sais lequel a le projet de sortir de son parc pour venir m’embrocher.

Mes pieds se font légers. Foulant à peine l’herbe du chemin, je passe prestement pour ne surtout pas déranger. Je n’ai pas l’âme d’un torero…


L’eau court toujours devant moi comme mes années qui passent. Je la suis à grands pas. Ce jour d’anniversaire me rend-il nostalgique … ou plutôt philosophe ?

Foulée après foulée, le Canigou s’est rapproché de moi. Un jour, je retournerai arpenter ses flancs généreux.

Village de Molitg et le Canigou en arrière-plan

Nous arrivons à Molitg. J’aperçois son clocher cylindrique si caractéristique.
Je laisse le canal , redevenu rigole, poursuivre son chemin. Le mien s’arrête ici…. Adieu mon compagnon, ou plutôt au revoir !

Arrivée du canal à Molitg

Un repas balsamique m’attend au restaurant dénommé « Le bon temps ».
Tout un programme !

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