Ce matin-là, le Canigou s’était drapé de blanc. Surprise automnale d’une neige et d’un froid précoces alors que deux jours plus tôt, nous gouttions encore à l’eau suave d’un bain de mer.
Il m’en fallait plus pour renoncer à une balade botanique prévue de longue date.
Rendez-vous à Céret. Sans transition et en quelques pas, je passe de la zone commerciale et ses étranges silos aux berges sauvages du Tech.
Le mas La Pouillède en contrebas de la zone, nous met en appétit.
Déjà, naturalistes et simples béotiens observent le tilleul majestueux et les nombreux figuiers qui ombragent la cour. Le tilleul est dit-on le symbole de l’amitié et de l’accueil.
Jadis, vaillants parachutistes, juifs persécutés en route pour l’Espagne ont fait halte en ce lieu éloigné des regards. Les feuilles ont murmuré, les troncs ont gémi sous le vent mais les voix se sont tues pour garder le secret et préserver la vie.
Jeanine, notre guide, se montre intarissable. A peine quelques pas vers la rivière et s’étage devant nous un peuplement de plantes dioïques, monoïques, de tiges aériennes, rampantes aux feuilles, lancéolées, cordiformes, alternes, … que sais-je ?? Au secours, vite un dictionnaire. Tant d’espèces sous nos Pataugas ! J’ose à peine marcher.
Au pied des immenses peupliers noirs, le groupe marque une pause.
J’ai reconnu l’ortie car elle se fait sentir par les brûlures qu’elle inflige à celui qui la touche.
Mais voilà l’Amarante dite réflexive, plus communément appelée langue-de femme, ce qui n’est pas incompatible. Aussi pleine de vertus que son cousin d’Amérique : le quinoa. Oui, l’amarante se mange alors que le jardinier la traite de mauvaise herbe.
Tout comme le chénopode blanc qui domine le talus, dressant ses boutons floraux minuscules. En salade ou en omelette, c’est l’épinard du pauvre et pourtant si riche en protéines et sels minéraux.
Depuis le début, un chat dodu et roublard se faufile dans nos jambes. Il vit ici au mas et entend surveiller ces envahisseurs du dimanche. Dans le calament odorant, il se prélasse jouant l’indifférent pendant que les visiteurs bavardent et herborisent. Normal, cette plante est voisine du népéta, herbe très prisée par les félins domestiques. Allez savoir pourquoi ils aiment tant ce parfum de menthe et de mélisse.
- Tiens, on dirait de la Carotte sauvage. Ces feuilles ciselées semblent nous l’indiquer ?
- Attention ! Il faut froisser la plante et sentir son parfum pour ne pas la confondre avec la mortelle Cigüe à l’odeur fétide et répugnante.
A en croire notre guide, beaucoup de ces herbes sont comestibles. Il y a de quoi faire son marché.. et à peu de frais.
D’autres sont là pour nous soigner telle l’Armoise. Artémisia quel beau nom pour une plante ! Celui-ci vient de la déesse Artémis, protectrice des vierges et des femmes. Au moyen âge, les femmes la portaient, paraît-il, en guirlandes autour de la taille pour éloigner les importuns. Question de phéromones ??? On dit aussi qu’une poignée de feuilles d’armoise glissées dans les chaussures soulagent les pieds du pèlerin ou du randonneur. Aujourd’hui, la plante serait efficace contre la Covid 19…
Voici la Datura stramoine ou herbe du diable et des sorciers. Alors, là méfiez vous !
Ne vous laissez pas séduire par le blanc virginal de sa fleur. Bien qu’étant de la famille des solanacées (pommes de terres, poivrons, aubergines), elle est toxique de la racine jusqu’au bout des feuilles. Je regarde de loin cette porteuse de mort et passe mon chemin.
Presque aussi redoutable, le phytolaque ou raisin d’Amérique.
Pourtant, il y a peu, il servait à teinter le vin rouge dans le Biterrois, lorsque l’aramon* trop clair ne suffisait pas à colorer ce breuvage.
En bas du talus, la rivière est là, sage et sereine. A l’ouest, de hautes falaises d’argile rougeoyante se mirent dans l’eau calme. Des cyprès bleus s’accrochent au bord du précipice, condamnés à tomber dans le vide à la prochaine tempête. Je ne sais ce qui m’émeut le plus dans ce tableau matinal : le contraste des couleurs froides et chaudes qu’offre ce paysage ou l’ardeur vaine de ces racines grises à retenir la terre comme on tient à la vie.
Le lieu où nous nous trouvons rompt avec la falaise. Le lit est large, plat, prêt à envahir l’espace à la première pluie. Des rochers clairs aux formes arrondies, polis par le courant s’amoncellent dans un chaos à peine troublé par quelques bancs de sable où s’anime la vie terrestre.
Le chat nous accompagne toujours : lové dans le lit sablonneux du Tech, il se roule contre un Xanthium. Prudence, le greffier, tu vas repartir chargé de gafarots*. Sur les poils ou les vêtements, ces fruits desséchés sont comme du Velcros. C’est d’ailleurs ainsi que le suisse George de Mestral inventa ce nouveau mode de fixation : en retirant ces boules épineuses du pelage de son chien, lui vint l’idée géniale de créer un tissu muni de minuscules crochets.
De plante en plante, d’arbre en arbre, la visite se poursuit. Saules, aulnes glutineux, phragmites *, sureaux, clématites, …. Impossible de tout citer tant nous en avons vus et observés.
La ripisylve* est riche. Le Tech, dernière rivière sauvage du bassin méditerranéen la nourrit de ses limons arrachés par les crues aux coteaux qu’il traverse. C’est un habitat favorable. La loutre est revenue. Quelle bonne nouvelle !
Trop heureuse d’avoir pu renouer avec les simples en ces temps bien compliqués, je me fis la promesse de revenir prochainement les pieds dans la rivière pour mieux vous en parler.
Merci à Jeanine Rodriguez et à l’association “Vallespir, terre vivante “pour l’organisation de cette sortie.
Aramon : cépage de raisin noir à pulpe claire utilisé pour la production de masse de vin de table. Sa production est aujourd’hui en déclin.
Gafarots : mot occitan désignant des fruits épineux hérissés de crochets
Phragmites : roseaux sauvages
Ripisylve : végétation bordant les milieux aquatiques
Bonjour Anne Marie,
Nous avons bien reçu ton mail , belles photos ainsi que beaux commentaires.
j ‘ ai essayé de te répondre de^mon Smartphone, Pierrette a vu ton message, mais je ne suis pas sur que tu l ‘ai reçu.
Il n y a pas longtemps que j ‘ai internet sur mon nouveau Smartphone (sur l autre je ne l avais pas)alors je fais mon apprentissage et parfois je suis bloqué.
Bises de nous deux .
Pierrette Laurent
Oh quel joli texte !merci ,que de joies et de partage cette matinée avec le repas en commun.
Espérons que cet endroit ne soit balayé par ce projet de pont,que la Flore et la faune y reste.
Yolane la locataire des lieux .
Je pense que vous êtes la personne qui voulait revenir peindre cette belle nature !?
Délicieusement instructif et poétique, comme d’hab.
Je ne m’en lasse pas.
Merci Anne-Marie de nous offrir ces belles pages