UN MAS DE LÉGENDE

On y accède par un chemin pierreux qui monte au dessus d’une friche. Fatigués de travailler cette terre ingrate, les hommes sont venus déposer là branchages et autre rebus végétaux issus de leur jardin d’ornement.
De loin, il s’impose déjà. Carcasse de pierres roussies par le soleil, balayé de tramontane et des douze autres vents qui tourmentent les chênes, il domine la plaine.

Le mas

De sa splendeur d’antan ne restent que les murs dont un au nord éventré forme un V, le V de la victoire de la végétation rebelle sur l’oeuvre humaine si précaire, si transitoire. L’escalier mène à un perron qui s’arrête net au-dessus du vide. Autrefois, un plancher séparait sans doute la bergerie de l’habitation.
Quelques arcades témoignent de leur résistance et d’une voûte sous laquelle, brebis et agneaux étaient mis à l’abri des dangers et du froid.

La voûte et les décombres

Plus personne n’habite ce mas ancestral, si ce n’est un figuier plantureux qui y a fait son siège. Réchauffé par les murs qui l’enserrent, puisant profondément sa nourriture dans une veine humide, il prospère et semble établi pour longtemps. On abat peu les figuiers, sauf si leur présence nous gêne. Le bois est de piètre qualité. Ma grand-mère disait que « les vieux meurent de froid au bord d’un feu de branches de figuier ».


Me voilà devant l’escalier. Combien de pieds fatigués, de corps harassés ont monté ces marches après avoir parcouru les collines, derrière le troupeau ? Espadrilles l’été, sabots en hiver ont foulé ces larges pierres creusées en leur milieu par l’usure.

Et derrière ces meurtrières, quels regards inquiets ont scruté l’horizon, quelles peurs ont été éprouvées ?

Des meurtrières pour l’affut

On dit qu’ici vivait un berger solitaire. Le mas florissant, un troupeau sain et vaillant lui assurait une vie tranquille. Or, un jour la chance vint à tourner. Chaque nuit, le berger entendait des bruits de chaînes et chaque matin, il trouvait, le malheureux, l’une de ses bêtes égorgées. Il redoubla de vigilance, enferma son troupeau à double tour. Mais rien n’y fit. Chaque matin apportait sa macabre découverte. Une bête errante ? Une volonté malveillante ? Le curé s’en mêla. Le mas fut mis sous la protection, non pas de la marée-chaussée comme la raison l’eut indiqué, mais sous celle …. d’un exorciste. L’histoire ne dit pas quand cessa ce pénible tourment et si l’exorciste y fut pour quelque chose.

Depuis ce temps-là, ce mas est nommé « Mas de la Por ». En catalan Mas de la Peur. Ma grand-mère m’a souvent conté cette histoire. Mon arrière- grand-mère Catherine approvisionnait quotidiennement l’infortuné berger. Aussi, avant la tombée de la nuit, elle pressait le pas pour apporter l’ouillade* et repartait en courant, en soulevant ses jupes pour ne pas trébucher.

Le fait que mon aïeule soit liée à ce mas et à cette légende m’a souvent donné envie d’aller y faire un tour. J’aime m’y promener, interroger les pierres pour tenter de comprendre, chercher la trace du passé, réveiller mes croyances et revenir à la raison.

Romarin en fleurs


L’endroit est plaisant. Les romarins, les vieux ronciers offrent au visiteur senteur et mûres fraîches. La vigne de grenache épouse la colline et s’éteint dans les rouvres. Mon imagination s’emballe. Ce lieu respire la force. La force de cette terre rouge et ce figuier en son sein si robuste.

Adolescents nous venions avec quelques amis touristes passer la nuit au mas dans des sacs de couchage. Pour se faire peur ! Très tôt, un matin alors que tout le monde dort, j’entends des grincements de chaînes. Mes poils se dressent d’effroi. La légende reprendrait vie ??

Cartésienne, je me ravise et m’approche du lieu d’où provient ce bruit fatidique : un homme en bleu de travail, tire innocemment de l’eau d’un puits pour sulfater sa vigne.

« Comment tu ne le connais pas » , me dit plus tard ma mère. «C’est C. F…. »

Quelle cruche d’avoir eu si peur ! Je m’avançai vers lui, rassurée.
Lorsqu’il tourna la tête, une large cicatrice lui barrait le visage.

Les légendes sont faites pour ceux qui veulent bien y croire.

Ouillade : soupe traditionnelle faite de viande de porc et de légumes principalement choux et pommes de terre. Des couennes et du vieux lard lui donnent plus de saveur.

3 Comments

  1. Nicole COSTE THEBAULT

    C’est un bonheur de te lire.
    Tant de saveurs et de lumière!
    A quand l’écriture d’un roman, d’une nouvelle?

    1. Anne-Marie LIKIERNIK

      Merci pour ces encouragements.
      Oui, je reprends la plume ou plutôt je déconfine mon clavier resté muet pendant ces temps étranges de distanciation.
      J’ai de bonnes nouvelles de toi par Sophie et j’espère que nous pourrons nous retrouver chez elle pour danser sous le ciel d’été.

      Bises

  2. Boisard Dominique

    Merci Anne Marie pour cette magnifique promenade virtuelle où les parfums et la lumière de la montagne m’ enchante et me donne envie de revenir dans cette région que tu aimes tant.
    Ton écriture est un vrai bonheur…tu devrais écrire un petit livre sur ta région et trouver un éditeur.
    j’attends ton prochain texte et ma prochaine visite avec impatience.

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