REMISE EN SELLE DANS LES ALBÈRES

7 mois : j’ai bien assez attendu. Bien assez attendu que mon sternum de sexagénaire se ressoude, que mes douleurs lombaires s’estompent, pour me remettre en selle. La chute du mois de mai a laissé quelques traces.

En ces jours de novembre, le massif des Albères offre de belles couleurs automnales : jaune d’or pour les micocouliers, roux profond pour les hêtres. C’est un terrain de jeu parfait pour ma jument et moi pour reprendre le travail ou plutôt le plaisir. Son inactivité, le temps de ma convalescence, lui a donné des ailes. Il va falloir assurer. Il est 11 h 00.

L’or des micocouliers

Cela commence par une bonne marche à pied de trois quarts d’heure le long des vignes et dans les premières collines. Le souffle du vent dans les pins, une feuille qui tourbillonne, une vieille souche tourmentée, l’oiseau dans un buisson, la voilà qui frémit. Dès notre approche, les chiens s’agitent et jappent derrière les lauriers tins. Aie ! le chien, mauvais souvenir pour ma pauvre monture !

Le cheval est hypermnésique. C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Bonne car cette disposition permet de dresser l’animal, et mauvaise car mis dans une situation délicate qui se reproduit, le cheval se souvient et s’inquiète.

Nous quittons les dernières maisons du village en direction du mas Péricot.
Le goudron s’arrête, et enfin commence la piste. C’est le moment de mettre le pied à l’étrier.
Quelques pas de trot sont de bon augure et pourtant, devant la montée , la voilà qui s’arrête, fait mine de se cabrer, secoue l’encolure et refuse d’emprunter la piste.
Demi-volte dans le calme pour lui signifier qu’on y va et ce, sans discussion. Madame déborde d’énergie. Puisque que c’est ça, … allez, au trot !

Très vite nous atteignons le plateau des treize vents et le laissons sur notre droite. Nous empruntons la piste sablonneuse direction Villelongue des Monts. Elle court à flanc de montagne à 350 m d’altitude. La fontaine Rovellada suinte plus qu’elle ne coule. Il est trop tôt pour s’arrêter casser la croûte même si les tables et les bancs invitent le promeneur à un moment de halte.
Qu’importe, en avant.

En rouge, tracé de l’itinéraire dans le massif

Nous croisons des hommes du village. Sentinelles de la montagne, ils patrouillent en 4 X 4 à l’affût du moindre départ de feu. Les pluies ont bien humidifié les sols, pas trop de risques d’incendie. Par contre, beaucoup de traces. Ce sont des sangliers. Ils ont foui la terre.

Les oreilles en éveil, l’oeil inquiet, la jument perçoit des bruits que je ne peux entendre. Les sangliers sont là, c’est sûr, mais où ?
Nous avançons comme en suspension, elle, prête à bondir. Le salut du cheval réside dans la fuite. La nature l’a fait ainsi, il faut en tenir compte. Je propose d’accélérer.

Nous allons entamer la descente. A ma gauche et au loin, le Canigou fortement enneigé. Au premier plan, en bas, tout en bas, Montesquieu se serre autour des ruines du vieux château. 13 h sonnent dans le silence végétal. Le soleil hivernal descend derrière la montagne et l’ombre est déjà bien trop fraîche. Vite un “raparro”*. Je mets pied à terre et sors de ma besace un petit casse croûte. Athena tressaille encore au moindre bruit.
Difficile de dire que nous sommes seules, la forêt grouille de vie. Les pommes que je partage avec elle lui apportent une sérénité relative.

A mes pieds, des plants de thym revigorés par les dernières pluies. J’en cueille quelques brins pour de prochaines tisanes, si souveraines contre les maux de l’hiver.

Des oies cendrées passent en escadrille. Je les observe un moment dans leur migration vers le sud et m’émerveille de leur organisation exemplaire : à tour de rôle, elles se relaient pour occuper la tête du grand V qu’elles forment dans le ciel.

Nous voici en approche de Villelongue. Au loin, le bleu profond de la mer souligne l’horizon pâle et brumeux où viennent mourir les dernières collines. Plus bas, le prieuré de Notre Dame du Vilar, magnifiquement restauré émerge de la végétation, défiant les incrédules qui, des décennies durant, n’y voyaient que des ruines ou … des loges à cochons !

En route vers le village, je le laisse derrière moi, à son silence monacal.
Le pas de mon cheval résonne dans les vieilles ruelles, éveillant la curiosité des passants. Encore quelques friches bordent le chemin de traverse, quelques chiens contestent notre droit de passage, et c’est au tour des vignes d’accueillir notre équipe. Athena a senti l’écurie, elle augmente l’allure.

J’aperçois le hameau du mas Santraille et mes autres juments qui accourent au galop. Quel comité d’accueil ! Athena se relâche, rassurée d’arriver à bon port.
Je mets pied à terre. Il est bientôt 16 h dans la plaine. La montagne enfermera ses bruits et ses mystères dans les brumes du soir et les sangliers vaqueront à l’abri des regards…

*Raparro : en catalan, coin généralement ensoleillé à l’abri du vent où les anciens avaient coutûme de s’asseoir pour se réchauffer.

2 Comments

  1. nicole coste

    Ta balade m’a fait rêver: j’adorerais partager des moments comme ça, mais je ne suis sans doute pas assez bonne cavalière. Allez, je vais quand même le mettre dans ma liste des choses à vivre, pour la joie!

  2. wassmer

    Oui, l’été est fini ! L’hiver, enfin presque, est arrivé en Seine et Marne avec son cortège de vent, pluie et froid mais on dira pour se consoler que c’est de saison.
    Aussi je reprends virtuellement les sentiers ensoleillés des Albères, que tu nous fais découvrir Anne-Marie, pour me réchauffer à ses rayons et contrer la grisaille qui s’est installée ici. A pied bien sûr car je ne suis pas cavalière mais randonneuse, en pensant que je les emprunterai peut-être cet été.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *