VENTS D’ICI

Il siffle sous la porte, à travers la serrure, fait danser le linge sur le fil, gonflant chemisiers et corsages, amasse dans les coins des trésors éphémères des arbres dépouillés, feuilles sèches, pétales arrachés, brindilles isolées. Il plie les arbres sans pitié jusqu’à la redoutée rupture. Soulève les toitures et auvents de fortune, s’engouffre dans les rues, bouscule les passants, obstacles inopportuns.

Il ride l’eau du lac jusqu’ici immobile, tracasse les roseaux résilients à l’envie. Ebouriffe plumes et crins et mes cheveux aussi.

Bourrasques immaculées, fleurs d’acacia en mai et neige en hiver. Rideaux mobiles de pollens, nuages d’or des pins qui hantent nos narines et chatouillent nos yeux.

L’insolent culbute les képis, jetés par dessus bord, entrainés sans respect par la vague, déchire les drapeaux, misérables oripeaux.

Seuls résistent les pylônes … et encore. J’en ai vu qui cédaient lors de mémorables tempêtes.
Grands fatras de grumes, mikado végétal, enchevêtrements d’âmes blessées, condamnés à finir en bûches ou en poussière. Voilà ce que laisse le vent lorsqu’il se veut terrible.

Car il s’agit du vent, vous l’avez deviné. Ici en Roussillon, il en existe treize.

Rose des vents

Parfois sur les façades vous les verrez cités, panneaux de céramique didactiques qui s’offrent au promeneur.

Pour ma part, je n’en connais que trois. J’arrive à les différencier. Pour les autres, il se peut bien que je me trompe encore tant l’écart est subtil.

L’été, la marinada* rafraîchit les maisons harassées d’un soleil implacable. Quand, dans tout le pays sévit la canicule, seul l’arc méditerranéen respire grâce au vent qui soulage. Le pain mollit dans nos placards. Le linge, empreint de cette humidité marine, refuse de sécher. Mais quel mieux être qui permet ici de vaquer librement lorsque d’autres, ailleurs, se terrent, dans la fraîcheur illusoire du noir, volets clos !

Difficile d’échapper à la tramontane. Elle est là, attaché à notre pays catalan et à Perpignan comme une fille à son père. L’hiver, je la crains car elle nous transperce, condamne notre opacité, nous gèle jusqu’au sang. J’ai souvenir de ce parcours quotidien que je faisais, jeune fille, revenant du lycée à pied bien sûr. Courbée face à la tramontane, cape flottant au vent, je descendais l’Avenue Albert Camus. Devant la caserne, je redoublais d’efforts pour maintenir mon corps dans son habituelle verticalité. Coudes serrés, épaules rentrées je luttais pour conserver ma chaleur naturelle que la tramontane tentait de dérober tout en me traversant. Trop heureuse d’arriver dans l’étroite Rue Petite La Réal protégée par de hauts bâtiments, je parvenais enfin au Palmarium.* Là, quelques hommes, toujours les mêmes, souvent très agés se tenaient assis comme des chats ronronnant « al reparo* ». Voilà une belle expression. Quel bonheur de se lover dans un coin pacifié, interdit aux rafales, sous la caresse du soleil alors que moins d’un mètre plus loin, à l’ombre et en plein vent, c’est l’hiver qui rudoie et tempête !

Certains disent que la tramontane rend fou car elle peut souffler plusieurs jours d’affilée et affecter ainsi notre psychisme. Pourtant, une étude réalisée par le Dr Conxita Rojo auprès de sa patientèle féminine à Port-Bou semble indiquer le contraire. La tramontane nettoie le ciel de tout nuage et installe le soleil si nécessaire à notre moral. Je préfère retenir que si les vaches produisent moins de lait en Cerdagne les jours de tramontane, ce vent mythique rendrait notre esprit alerte et créatif.

Mais mon vent préféré, c’est celui qui arrive d’Espagne.. al Mitjorn*.
Voilà qu’il enjambe les Pyrénées, chahute dans les Albères chènes-lièges et grand hêtres plus haut. Il s’abat sur la plaine et la balaye telle une sorcière nettoyant son logis.
Je prends alors une veste légère, un blouson de coton où je ne quoi encore pour m’en protéger sans trop y croire et je pars, nez au vent.
Il est chaud, enlevé, lancinant comme une musique qui entendue une fois, se plante dans votre mémoire et ne vous lâche pas. Il me donne des ailes. Et je le laisse m’emporter…

Mon chien, oreilles retournées par ce zef, – ça lui donne une drôle de tête- pointe sa truffe vers le ciel. Il trottine lui aussi, envoûté et heureux, prêt à décoller pour un incroyable voyage affrété par Éole.

Oui vous l’avez deviné. j’aime le vent n’en déplaise aux grincheux à qui il donne la migraine.
Ici, c’est le pays du vent* et notre météo est simplement binaire car comme dit le dicton,« si plou pas, farà vent ».*

Marinada : vent marin
Palmarium : illustre café, situé quai Vauban à Perpignan jusqu’en 1984, aujourd’hui Office de Tourisme
Reparo : coin ensoleillé et abrité du vent – catalan roussillonnais
Mitjorn : vent d’Espagne
Statistiques météo : Perpignan 127 jours de vent en moyenne (vent plus de 60 Km/h) par an. Le record est détenu par Narbonne 175 jours.
si plou pas, farà vent : expression catalane : s’il ne pleut pas, il y aura du vent.

2 Comments

  1. Nicole COSTE THEBAULT

    Une régalade, comme d’habitude…

  2. Mienville

    Avec du retard tel une brise qui arrive à pas perdus venant s’engouffrer dans nos lainages, le vent d’ici nous apporte soleil et journées lumineuses…que dire…merci Dame Tramontana…autant en emporte le vent d’ici. ..

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